L’usage des emoji sur Twitter : une grammaire affective entre publics et organisations ? (2024)

1Smileys, émoticônes, emoji [1]… Un ensemble d’éléments visuels pour agrémenter nos conversations en ligne. Un moyen aussi d’exprimer des émotions, de signaler ce qui nous affecte ou d’essayer d’affecter les autres. «Les emojis sont donc des pictogrammes qui représentent des choses comme des parties du corps et des activités, des véhicules et des bâtiments, de la nourriture et des boissons, des animaux et des plantes mais aussi des icônes représentant des émotions, des sentiments reprenant certains types d’émoticônes [2].» Cette ornementation émotionnelle ou figurative de notre langage numérique ordinaire ne concerne pas seulement les usagers des dispositifs numériques. Pour différentes raisons, qu’il convient de décrire et situer, les organisations utilisent les emoji dans leur communication numérique.

2Dans cet article, nous présentons les résultats d’une étude menée au cours de l’année 2018 sur la plateforme Twitter. Le choix de cette plateforme s’explique par les possibilités de collecte automatique des contenus, mais notre enquête couvre plus largement les pratiques à l’œuvre sur les autres médias sociaux (dont Facebook, Instagram et LinkedIn). Sur Twitter, nous avons analysé et collecté plus de 76000 emoji qui circulent par l’intermédiaire de 26 comptes d’organisations francophones [3]. Associée à des entretiens avec des «community managers» (ou gestionnaires de communautés en ligne), cette étude cherche à comprendre l’usage qui est fait de ces emoji dans un contexte de communication organisationnelle en ligne. Mais ces usages ne peuvent être analysés en dehors de tout contexte, spécifiquement sur le Web où les plateformes numériques sont au centre des processus de production et de circulation de ces signes.

3En effet, nous pensons que les dispositifs utilisant des signes qui, comme les emoji, font référence à des émotions («like», cœur, etc.), sont engagés dans un processus de grammatisation [4]. La grammatisation est l’encadrement d’une nouvelle grammaire, définie comme un outil dédié à la description de la réalité et qui articule les composantes des ontologies avec des règles spécifiques. S’il y a une dimension (web) sémantique dans ces dispositifs, dans la mesure où les contenus qu’ils mettent en circulation se retrouvent enrichis de métadonnées émotionnelles, c’est à la surface des textes, ou dans l’interface des dispositifs techno-sémiotiques, que notre regard va se porter. Parmi les règles de cette nouvelle grammaire, les phrases incorporent toujours le dictum (description factuelle d’une entité) et le modus (humeur, opinion, pensées du locuteur). De nouvelles ontologies et de nouvelles règles sont produites lorsqu’il y a un nouveau domaine à décrire. La grammatisation est alors un processus qui vise à entrelacer le lexique et la syntaxe. Dans notre cas, les emoji sont le lexique, et le rôle croissant des affects dans les relations entre l’organisation et ses publics est le nouveau domaine. Cette grammatisation, autour des emoji, ouvre alors une négociation entre les plateformes et les usagers: quels emoji sont mis à disposition? Par quelles fonctionnalités? Comment les usagers vont-ils utiliser ces emoji dans leurs messages, leurs interactions? Comment vont-ils solliciter l’apparition de nouveaux emoji?

4Nous souhaitons questionner cette grammaire au travers des emoji qui semblent la constituer, par une approche pragmatique et non pas linguistique ou sémiotique: c’est la manière de faire avec des signes affectifs, ici les emoji, qui nous intéresse, ainsi que ce qu’en disent les praticiens qui en font l’usage. C’est pourquoi nous sommes plus enclins à parler d’une sémio-praxéologie de l’affectivité numérique.

5Notre question centrale est ainsi la suivante: l’utilisation d’emoji sur Twitter contribue-t‑elle à la production d’une grammaire affective utile à la communication numérique des organisations?

6Dans un premier temps, nous passons en revue la littérature actuelle en communication sur trois aspects: la place des émotions et des affects dans l’économie du web, ce que cette économie implique en termes de travail et de pratiques pour les professionnels de la communication, et les liens entre cette économie et l’utilisation d’emoji, spécifiquement sur Twitter. Ensuite, après avoir présenté notre méthode et notre corpus, nous dévoilons les résultats centraux de notre recherche. En particulier, nous analysons les emoji en tant que mots-images (par exemple L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (1)) et mots-émotions (par exemple L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (2)) [5]. Nous décrivons leurs usages en fonction des stratégies ou des situations spécifiques auxquelles sont confrontés les praticiens professionnels de la communication. Enfin, nous discutons de ces résultats, en particulier pour interroger les emoji comme de possibles affordances qui guident les pratiques de communication numérique des organisations.

7Nous proposons ici de cadrer conceptuellement notre approche à partir de ce qui, dans la littérature, nous permet de spécifier ce qui relève du web et de l’affectif. Nous verrons ensuite que la circulation des affects sur le web participe aux stratégies communicationnelles de gestion des relations publiques par une organisation. Enfin, nous signalerons comment l’emploi des emoji, notamment sur Twitter, déborde d’une traditionnelle communication médiatisée par ordinateur pour participer à cette circulation affective.

8L’analyse de ce que les organisations et leurs publics font avec des emoji sur une plateforme comme Twitter implique d’esquisser les contextes où se déploient les pratiques observées. Nous situons ces contextes à trois grands niveaux schématiques: macro, avec le Web comme configuration de dispositifs, de discours et d’usages formant une industrie avec ses économies propres [6]; méso, en regroupant les intermédiaires et acteurs économiques de cet environnement (investisseurs, annonceurs et travailleurs, mais aussi usagers et publics); micro, avec les contenus et données que ces acteurs produisent, les signes qu’ils mettent en circulation via des fonctionnalités et des interfaces.

9Dans cet article nous proposons d’analyser la circulation et l’usage des emoji dans et entre ces trois contextes par un prisme affectif. Cette approche ne considère pas les affects comme une catégorisation d’émotions, d’impulsions, de sentiments, etc. attachés à un pathos [7] mais comme une force qui anime l’ethos [8]. L’effort (conatus) produit par un individu pour «persévérer dans son être [9]» se définit comme une «puissance d’agir», qui peut être affectée de joie ou de tristesse selon les rencontres ou les événements. S’il y a «adéquation», pour citer Spinoza, entre l’expérience et la personnalité, alors on rencontre les conditions de félicité pour que l’affect adhère à l’individu et produise de la Joie. Si cette rencontre est inadéquate, elle produit de la Tristesse et diminue la puissance d’agir. L’affection désigne alors la variation de la puissance d’agir. Les émotions et les signes qui les matérialisent sont donc à la fois l’entrée et la sortie de la relation (l’affect, ressenti ou exprimé, de manière adéquate ou non dans un cas comme dans l’autre). Nous abordons donc ici les affects en termes d’intensité (plus ou moins de Joie, de Tristesse), de sensation (au niveau du corps autant que de l’esprit) et de valeur (économique, pratique, symbolique, etc.) [10]. L’approche affective va ainsi nous permettre d’appréhender les enjeux relationnels à l’œuvre dans la circulation des emoji considérés en première lecture comme des signes émotionnels. Ce «conatus discursif [11]» touche aussi bien les individus que les organisations, saisis d’un même désir d’expression et, pour ces dernières en tout cas, peut-être convaincues que cette présence en ligne leur permettrait de persévérer dans leur être.

10En 2007, moins d’un an après sa création, Twitter dépose l’un de ses premiers brevets intitulé «Système et méthode d’évaluation du sentiment» [12]. Comme de nombreux autres acteurs économiques du numérique, Twitter envisage les messages circulant sur sa plateforme comme l’expression des «émotions» ou des «sentiments» de ses usagers. Des expressions qui, via des méthodes de fouille de texte, pourraient offrir une meilleure compréhension des usagers. En 2020, de nombreuses autres plateformes dites de médias sociaux développent des fonctionnalités pour encourager l’expression et le partage de sentiments ou d’émotions: par exemple, Facebook et ses réactions [13] ou Instagram et ses cœurs. Ces fonctionnalités font plus largement partie de ce que nous appelons un «web affectif» [14]: le déploiement par les plateformes numériques d’un ensemble de techniques, de méthodes, d’investissem*nts et de discours visant à faire de l’expression émotionnelle en ligne un levier pour développer et pérenniser un modèle économique basé sur la publicité et l’attention. Ainsi, ces fonctionnalités permettent aux usagers (y compris les professionnels tels les community managers) d’attacher une émotion à un message, et aux concepteurs des dispositifs d’étiqueter affectivement ce même message et de favoriser son analyse et sa circulation. Cet attachement permet de considérer les expressions émotionnelles qui colleraient aux objets, signes ou individus, comme des affects qui circuleraient par la suite [15].

11Plus concrètement, sur Twitter, de nombreuses fonctionnalités comme la création de contenu, la gestion des relations publiques et la mesure des campagnes de communication permettent aux utilisateurs et aux professionnels de mettre en circulation ce qui les affecte ou peut affecter les autres. Les images renforcent l’affection tout en attirant l’attention [16], les hashtags attachent des émotions à un message et permettent de faire collection d’affections similaires, les cœurs signalent ce qui nous affecte, et l’algorithme de Twitter affine ses recommandations grâce aux données affectives ainsi générées.

12Mais les plateformes permettent-elles vraiment d’exprimer des émotions et de les capturer pour affecter les publics? En première lecture, elles contribuent avant tout à une «grammatisation» des affects. Via les diverses fonctionnalités qu’elles proposent, et par extension le travail d’écriture des usagers, elles construisent un répertoire de termes et de signes dont l’articulation facilitera ensuite la production de contenus publicitaires et le ciblage [17] de «publics affectifs» [18]. Cette grammaire (lexique et syntaxe), pour faciliter son interopérabilité d’une plateforme à l’autre, doit développer ses propres standards auprès, avec, et à partir des locuteurs, dont les praticiens. Cette standardisation participe ensuite à la création «d’une approche commune de la mesure de l’affect public, ou sentiment général» [19]. Ce sentiment général, dont la mesure et la régulation participent au capitalisme attentionnel, s’attache aux organisations et à leur présence, participant à générer une valeur immatérielle. Pour ces organisations, auxquelles s’attache ce «sentiment général», cette grammaire facilite son analyse et la valeur potentielle qu’il génère. Elle permet d’élaborer des conventions pour guider sa production et son adaptation à chaque organisation. Pour les usagers des plateformes, les publics affectifs, cette grammaire structure une écriture nécessaire à l’expression de l’intensité affective ressentie lors d’une expérience singulière ou collective. Par cette écriture, les publics attachent leurs ressentis à un contenu ou des messages, produits ou non par des organisations, commerciales, institutionnelles ou médiatiques. Cet attachement favorise la hiérarchisation de ce qui, en fonction de cette intensité, mérite d’être débattu, mis en visibilité ou en circulation [20]. Ces affects en circulation forment un paysage affectif [21] appuyant les mobilisations [22] des publics ainsi reliés entre eux par des affections similaires. En résumé, avec cette grammaire affective, les plateformes favoriseraient l’expression d’affections singulières tout en développant des systèmes industriels permettant leur attachement à des contenus ou profils, leur circulation, leur mesure et leur instanciation par les professionnels.

13Nous pouvons alors émettre l’hypothèse que les emoji participent et sont le résultat de cette grammatisation nécessaire à l’écriture affective, la trace technosémiotique de ce qui nous a affectés en ligne et de l’intention d’affecter nos publics. Dès lors, que nous révèlent-ils de ce possible «sentiment général» et plus globalement de ce tournant affectif des dispositifs numériques?

14Les praticiens de la communication numérique sont d’ailleurs confrontés à de nombreux discours promouvant l’utilisation de ces fonctionnalités affectives et de cette grammaire [23], présentées comme un renouvellement dans la publicitarité des discours de marque [24]. La diffusion de ces pratiques peut favoriser l’adoption, la reproduction et l’évaluation de cette nouvelle grammaire affective. Car ces praticiens sont au centre, au milieu (méso), des relations affectives entre leurs publics, leurs organisations et les plateformes.

15Dans un environnement numérique où la circulation des affects s’insère «dans des systèmes de valeur et de production de valeur» [25] – le capitalisme affectif mesurable au «sentiment général» – les organisations adaptent leurs stratégies et pratiques de communication. Cette communication affective, entendue comme «l’ensemble des processus de communication des affects et des techniques de codification des signes des affects» [26], n’a pas attendu les dispositifs du Web pour se déployer. Mais les infrastructures numériques l’accompagnent, l’orientent et l’encadrent de manière particulière. Il ne faut donc pas réduire la communication affective à une communication pensée depuis le corps de l’énonciateur mais aussi comme ce qui est fait à son corps, par l’entremise de différentes activités qui relèvent d’un travail, ou d’une mise au travail. Cette mise au travail des corps et des émotions relève d’une stratégie puisque les plateformes en déploient les outils dans leurs interfaces. Ainsi, la communication affective en ligne, lorsqu’elle emploie une grammaire affective ou encourage à son recours par les publics [27], s’inscrit dans ce que Hardt et Negri [28] qualifient de travail affectif, soit un ensemble de techniques visant à susciter, modifier voire manipuler les affects d’un individu. Ce travail affectif numérique peut être envisagé à deux niveaux:

  • Le niveau de la circulation à proprement parler. Pour produire de la valeur cette circulation doit provenir des publics qui ont la possibilité d’attacher les émotions ressenties aux messages qui les suscitent. Le volume de messages affectés assure une plus grande circulation et mise en visibilité. Il devient possible dans ce contexte de qualifier ce travail des publics comme du digital labor[29], voire, puisqu’il s’agit d’un travail affectif, de digital affective labor[30];
  • Le niveau de l’affection, qui vise à affecter, orienter et inciter au digital affective labor via la production de contenus spécifiques et le recours à une grammaire affective. Ce travail repose sur les praticiens de la communication numérique.

17Ces praticiens, lorsqu’ils sont opérateurs des fonctionnalités affectives des plateformes, sont généralement qualifiés de «community managers» (CM) ou «social media managers» (SMM). Leurs statuts (salariés, prestataires en agence, indépendants, micro-travailleurs), leurs formations, leurs expériences ou encore leurs rôles sont variables en fonction des secteurs ou des publics. La typologie de leurs activités est néanmoins relativement circonscrite [31]: produire certains contenus ou adapter ceux existants, planifier leur diffusion, gérer la présence numérique des organisations, interagir avec les publics, surveiller ce qu’il se dit sur l’organisation, et mesurer les résultats des actions. Les CM sont en quelque sorte une interface entre les organisations, les publics et les plateformes [32]. C’est par eux que circule dans et hors de l’organisation ce qui va affecter les collaborateurs, les stratégies de communication et les publics.

18Les CM et leurs pratiques sont étudiés dans les recherches francophones depuis de nombreuses années déjà [33]. Cependant, la place du travail affectif, tel que nous l’avons décrit supra, est encore peu questionnée. Qui plus est quand ce travail affectif des CM implique en retour un travail affectif des publics, quand ceux-ci répondent ou interpellent: comment gérer ces affections, ces intensités variables, ces puissances d’agir, particulièrement lorsqu’elles s’attachent à l’organisation voire au praticien lui-même?

19Face à de possibles agressions, des expressions de joie ou de tristesse, mais aussi à la nécessiter de faire preuve d’empathie et d’autorégulation émotionnelle pour mieux comprendre et affecter les publics [34], le community management implique aussi une forme de travail émotionnel. L’étude de ce travail émotionnel numérique – défini comme la capacité à contrôler ses propres émotions afin d’influer sur celles des autres [35] – s’est déjà intéressée aux femmes community managers [36] et utilisatrices de Wikipédia [37], ou encore aux blogueurs [38]. L’observation de ce travail émotionnel participe surtout à des analyses critiques. Elle met en relief la baisse de motivation [39] ou la détresse [40] que ces affections numériques engendrent chez celles et ceux qui doivent les réguler, et les tactiques déployées pour minimiser leurs effets négatifs [41]. Mais le peu d’études existantes ne délimite pas les conventions propres aux praticiens sur ce travail émotionnel et son lien avec le travail affectif, qui plus est dans un contexte francophone. La communication affective numérique nécessite donc d’être documentée pour mieux saisir son organisation, sa portée et ses limites.

20Si nous émettons l’hypothèse que les emoji sont constitutifs d’une grammaire participant à cette communication, nous pouvons ainsi nous demander quels sont les facteurs qui guident le recours ou non à cette grammaire pour les praticiens.

21Ainsi, dans l’hypothèse où les emoji contribueraient à une grammaire affective propre au capitalisme affectif numérique, ils seraient pour les CM une modalité de production de la communication affective numérique. Il convient alors de définir plus précisément ce que nous entendons par «emoji», puis de synthétiser les principales études portant sur son emploi dans le champ de la communication médiatisée par ordinateur, avant d’aborder leur usage sur Twitter (notre terrain).

22Tout d’abord, il est important de clarifier les termes pour éviter toute confusion (Figure 1). Les émoticônes sont des pictogrammes représentant des visages ou des organes (main, cœur) pour signifier des émotions. Elles peuvent être exprimées sous forme de pictogrammes créés avec des caractères de clavier (:-)) ou de logiciels graphiques (image). Les emoji sont à la fois typographiques et graphiques. Ce sont des images directement accessibles par le clavier et qui viennent se loger sur la ligne de base typographique, à côté des autres caractères: «Le terme emoji provient du japonais et combine e, “image”, et moji, “caractère”, soit littéralement “image-caractère”» [42]. Par un prisme technique, «les “émoji” désignent un ensemble particulier d’images affichées sur des appareils et des plateformes numériques comme un seul caractère de texte, grâce au code de caractères standard Unicode» [43]. Dans cet article, nous nous concentrons uniquement sur l’emoji, et nous ne nous intéressons pas aux autres caractères de la famille des pictogrammes (smileys ou émoticônes typographiques).

L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (3)

Figure 1. Distinction entre emoji, émoticônes et pictogrammes

23Toutefois, il convient ici de rappeler les recherches produites autour de ces signes, dans le cadre de la communication médiée par ordinateur. Ces combinaisons permettraient de «faire du face à face avec de l’écrit» [44]. Quatre fonctions ressortent des analyses de corpus: une fonction expressive, une fonction relationnelle, une marque de l’humour ou l’ironie, un procédé de politesse. Dans son rapport au reste de la locution, le smiley produit de la redondance, de la désambiguation ou un apport nouveau. Cependant cette approche est limitée dans la mesure où les smileys sont exclusivement émotionnels [45], à la différence des emoji. En effet, si les smileys et émoticônes sont bien construits sur une relation sémiotique de proximité entre le signe:-) ou L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (4) et l’expression émotionnelle de la joie (ici le sourire), il n’en va pas de même avec les emoji qui, dans la même catégorie, englobent des expressions émotionnelles (ou mot-émotion L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (5)) et des objets (mot-image L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (6)). Cependant, si nous faisons l’hypothèse que les community managers emploient indistinctement ces deux catégories d’emoji pour affecter leurs publics, car ils postulent le même pouvoir d’affectivité aussi bien aux mots-émotions qu’aux mots-images, c’est donc bien en lien avec leurs conditions de production qu’il faut étudier les emoji: en l’occurrence ici sur Twitter.

24Les smileys (emoji jaunes souriants) sont apparus dans les années 1960, les émoticônes en 1982, et les emoji tels que nous les connaissons en 1995. Le processus de standardisation de ces jeux de caractères a commencé en 2007, sous l’égide du consortium Unicode [46]. Différents groupes de travail réunissant les acteurs dominants du Web et de l’informatique visent à aligner l’affichage des emoji entre les plateformes. Selon l’appareil ou la plateforme, les emoji peuvent donc différer dans leurs représentations visuelles. Le choix des emoji et leur mise en œuvre dépendent ainsi d’intérêts commerciaux et techniques, et non pas seulement de l’adaptation aux besoins, contextes ou usages du public. Comme le souligne Berard [47]: «Les Emoji sont un exemple de la façon dont les normes techniques […] rendent certains langages et contenus visuels visibles, et en occultent peut-être d’autres, intentionnellement ou non». Ainsi, s’il existe une grammaire affective numérique, les usagers n’en créent pas les éléments lexicaux (c’est-à-dire les emoji), mais peuvent éventuellement en déterminer la syntaxe.

25De nombreux travaux scientifiques envisagent les emoji comme un indicateur universel des émotions. Ces analyses s’inscrivent plus précisément dans les approches de sentiment analysis et de traitement automatique du langage. L’ouverture ainsi que l’accessibilité des données produites sur/par Twitter font de cette plateforme un terrain d’expérimentation particulièrement prisé. L’analyse des emoji est ainsi vue comme un moyen: d’automatiser le classem*nt des tweets [48], de rendre moins ambigus les termes ou adjectifs liés à des sentiments [49], d’entraîner les algorithmes d’apprentissage supervisé à la traduction automatique de langues non latines comme l’arabe [50] ou le chinois [51], ou encore à identifier automatiquement le sarcasme [52]. Dans ces approches, les emoji sont des marqueurs émotionnels linguistiques. Les emoji ont un sens «verrouillé», et – pour les auteurs – leur signification est universelle comme les émotions qu’ils signifient: les spécificités culturelles du public sont minimisées, voire non pertinentes, les emoji servant à standardiser le service fourni par les applications d’analyse des sentiments. À ce titre, ce traitement constitue l’une des composantes logicielles de l’informatique affective proposées dès le milieu des années 1990 par R. Picard [53]. Cependant certains chercheurs en informatique soulignent que l’analyse automatique des emoji est difficile (mais pas impossible) en raison de leur polysémie [54], qui plus est lorsque des questions de genre ou de couleur de peau entrent en jeu dans l’analyse [55].

26La dimension culturelle, contextuelle et polysémique est bien présente, mais dans une autre partie de la littérature, où les emoji sont considérés comme des marqueurs culturels, et ne peuvent être analysés que dans leur contexte [56] pour mieux appréhender leur dynamique intersubjective [57]. L’adoption d’émoticônes typographiques dépendrait davantage de la culture et de l’utilisation de la langue que de questions géographiques [58]. Un emoji est alors un «artefact culturellement situé» [59]. Ainsi, la couleur de la peau d’un emoji associée à son genre mettrait en évidence les stéréotypes sociaux [60] propres à certaines sociétés. Cependant, quelle que soit la façon dont ces artefacts sont culturellement situés et analysés dans diverses études, ils restent généralement associés à l’idée qu’ils révèlent les émotions du locuteur. Et, d’un point de vue instrumental, grâce à ces «émotions», il serait possible d’évaluer la relation affective des consommateurs avec une marque [61].

27Le recours aux emoji devient alors un moyen d’évaluer les réactions d’un public lorsqu’ils sont considérés comme des marqueurs émotionnels universels, autant qu’une technique pour adapter les relations entre une organisation et ses publics dans des contextes culturellement situés. La maintenance de ces relations en ligne, dans un cadre privé et professionnel, s’inscrit dès lors dans une forme de travail émotionnel [62] et affectif [63]. Le recours aux emoji peut aussi être envisagé comme une forme de rhétorique avec des séquences grammaticales spécifiques [64]. Une rhétorique participant pleinement à la communication affective numérique où l’emoji permet «le plus souvent de développer la confiance en mettant l’accent sur la similarité, les bonnes intentions et la bienveillance [65]».

28Pour synthétiser, les emoji remplissent à la fois une fonction écologique pour Twitter (production d’un «sentiment général» et analyse des usagers), et une fonction stratégique pour les organisations (évaluer et gérer des affections). Il nous semble alors pertinent d’observer en quoi cette grammaire affective à laquelle les emoji participent offre un angle d’analyse particulier sur les relations qui se font et se défont entre les organisations et leurs publics. En somme, ce que ce langage spécifique nous apprend de la communication affective numérique, de certains de ses dispositifs et acteurs.

29Notre corpus est composé de données issues de Twitter et d’entretiens. Nous avons choisi des méthodes mixtes [66] pour nous assurer que l’interprétation des données quantitatives ne trahirait pas le sens que les acteurs donnent à leurs pratiques. Ce corpus s’inscrit dans une étude plus large qui intègre un questionnaire à destination de CM francophones, et une analyse ethnographique et quantitative de pages Facebook. Le choix de Twitter comme terrain pour la collecte et l’observation d’emoji répond essentiellement aux critères suivants:

  • Twitter est une plateforme dont le fonctionnement même repose sur la production de messages courts (tweets) écrits en majorité via des téléphones, ce qui suppose un recours plus accru et facilité à des signes comme les emoji;
  • Twitter permet à la fois, de manière semi-publique, la conversation et la diffusion de messages. Il est alors possible, en termes d’analyse, de mieux contextualiser le recours aux emoji dans ces différentes configurations;
  • Twitter agrège ces messages via des hashtags, offrant ainsi la possibilité de constituer rapidement des collections thématiques de tweets;
  • Cette collecte est plus aisée techniquement, malgré de nombreux biais dont certains sont présentés ci-après et déjà bien documentés dans la littérature [67].

31Notre échantillon de données collectées sur Twitter est composé de 134678 tweets provenant de 68921 comptes. Parmi eux, 38798 tweets contiennent 76114 emoji. Ces données proviennent de 26 comptes Twitter associés à des organisations francophones [68]. Les critères que nous avons utilisés pour sélectionner ces organisations sont l’activité commerciale et la taille de la communauté (de 2500 à 5,3millions). Nous avons également cherché des comptes avec des degrés d’intensité rédactionnelle variables: de 1 à 40% de l’activité du compte sont du fait du CM, et non d’une automatisation quelconque.

32Entre le 01/11/2017 et 30/07/2018 [69], nous avons collecté les tweets envoyés par ces organisations ou mentionnant ces dernières, leurs retweets et leurs réponses.

33Pour cette collecte, nous avons utilisé l’API de recherche standard de Twitter via un service externe fournissant un fichier par compte visé. Nous avons élaboré un script de traitement de ces fichiers afin de réaliser et afficher des calculs sur notre propre serveur web. Embarquant plusieurs langages (JSON, SQL, PHP, HTML), il devait garantir de préserver l’encodage de chaque emoji (version UNICODE 11 au moment de la collecte). Ce système est loin d’être parfait et de nombreux biais propres à ce type de collecte ont été identifiés [70]. Twitter limite notamment le volume de tweets par session de collecte (max. 5000), et en fonction du dynamisme éditorial du compte ce seuil peut être dépassé en quelques minutes ou bien faire remonter des productions très anciennes (notre plus vieux tweet date du 30/09/2015).

34Notre corpus qualitatif est constitué de 22 entretiens semi-directifs avec des CM.Ces entretiens ont été réalisés entre le 01/10/2017 et le 01/05/2018. À la suite du choix des comptes Twitter et du lancement de la collecte de données, nous avons rapidement constaté les limites analytiques d’une approche «à distance» basée uniquement sur des données numériques. Néanmoins, nous n’avons pas pu obtenir de rendez-vous avec tous les responsables des 26 comptes Twitter identifiés. Seuls cinq d’entre eux ont choisi de nous rencontrer. Nous avons donc mené des entretiens avec des CM dont les organisations sont similaires en termes d’activité et d’audience à celles analysées sur Twitter. Au cours de ces entretiens, nous avons abordé 7 thèmes, dont un consacré aux emoji, leurs utilisations et leurs effets. Nous avons ensuite procédé à une approche inductive générale [71] afin de mettre en évidence et en cohérence les pratiques ou constats les plus redondants [72].

35Notre analyse de ces données n’est donc pas uniquement quantitative. Elle s’est appuyée sur certains résultats d’entretiens: lors de ceux-ci nous avons pu confirmer ou non certaines observations issues de cette collecte, et surtout les contextualiser. Inversem*nt, les entretiens nous ont invités à intégrer de nouveaux calculs dans notre script. C’est ainsi que nous avons cherché, de manière inductive, à identifier un processus de grammatisation et les pratiques qui en sont issues: à partir d’usages locaux et localisés, dont nous présentons ensuite les plus typiques, nos interprétations ont été guidées par les praticiens que nous avons rencontrés.

36Une première analyse globale des fonctionnalités utilisées dans les tweets collectés conduit aux résultats suivants (Tableau 1).

TotalPubliés par des CMInterpellations
commence par @compte
Mentions
contient @compte
Tous les tweets134,678= 9,930 soit 7,4%+ 9,030 soit 6,7%+ 115,718 soit 85,9%
Retweets (RT)= 61,239= 2,390+ 21,263 eq. RT de tweets de CM+ 37,586
Tweets sans retweets+ 73,439= 7,540+ 9,029+ 56,740
Parmi ces 73,439 tweets sans RT
Réponses Les CM se répondent dans 126 tweets29,691= 3,623+ 6,872+ 19,070
Tweets avec des hashtags11,708= 1,582+ 703+ 9,386
Tweets avec des mentions (@compte)28,531= 3,850+ 5,959+ 18,722
Tweets avec emoji9,311= +1,008
13,36% de 7,540 tweets du CM
+ 1,024
11,34% de 9,029 tweets des publics
+ 7,254
12.78% de 56,740 tweets des publics
12,67% sur 73,439 tweets1,37% sur 73,439 tweets1,39% sur 73,439 tweets9,87% sur 73,438 tweets

37Voici deux premiers résultats significatifs:

  • Les publications des CM représentent 7,37% de l’ensemble du corpus (9930tweets sur les 134678 tweets du corpus);
  • Le taux de réponse des CM par rapport aux mentions directes est de 40,1% (3623 réponses sur 9029 interpellations), là où les réponses du public aux tweets des CM sont de 91%(6872 réponses commençant par @compte sur 7540 tweets publiés par le CM): les publics interpellent plus les CM qu’ils ne dialoguent avec eux.

39Les analyses suivantes n’incluent pas les retweets. En effet, si les retweets peuvent être interprétés comme le résultat d’une affection, ils ne permettent pas d’identifier un recours direct à des emoji.

40Le recours aux «fonctionnalités affectives» offertes par Twitter (Tableau 2), à l’exclusion des retweets, montre que les CM et leurs publics en ont une utilisation différente.

FonctionnalitésCM
7,670 tweets
(hors RT)
Publics
65,769 tweets
(hors RT)
Liens0.820.6
Hashtags1.010.64
Mentions0.962.42
Emoji0.360.53

41Très clairement, lorsqu’ils communiquent avec leurs publics, les CM utilisent beaucoup plus certaines de ces fonctionnalités (liens vers des pages web et hashtags). Même si leurs tweets avec emoji ne représentent que 1,37% de l’ensemble du corpus, ils partagent avec le public un pourcentage d’usage des emoji presque identique (13,36% contre 12,78%). Les publics, en revanche et en toute logique (ils sont plus nombreux), publient beaucoup plus que les CM et font plus appel dans ce contexte aux emoji. En première lecture, les emoji apparaissent donc comme des éléments pertinents pour observer la communication affective numérique, aussi bien celles des praticiens professionnels que celles des autres usagers.

42Les emoji de notre corpus sont variés. Nous les avons classés selon les catégories conventionnelles proposées par emojipedia.org (Tableau 3).

CatégoriesDescription
Volume d’emoji différents appartenant à cette catégorieNombre d’emoji dans la catégorie et% du total (n=76.114)
Emoji les plus utilisés dans la catégorie
ActivitésEmoji pour les sports, la musique, les arts, les passe-temps et autres activités.422,107
(2.76%)
L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (7)271
DrapeauxEmoji de drapeaux, de sigles de pays.343,223
(4.23%)
FR
2267
Nourriture et boissonsEmoji pour les fruits, les légumes, les repas, les boissons et les ustensiles.514,638
(6.09%)
L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (8)1231
Animaux et natureEmoji pour les animaux, la nature et la météo.1176,047
(7.9%)
L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (9)635
ObjetsEmoji pour les articles ménagers, les célébrations, la papeterie et les objets divers.1056,169
(8.1%)
L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (10)1299
Emoticônes et personnesEmoji pour les smileys, les personnes, les familles, les gestes de la main, les vêtements et les accessoires.18232,597
(42.8%)
L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (11)3488
Voyages et lieuxEmoji pour des scènes, des lieux, des bâtiments et des modes de transport variés.711,918
(2.5%)
L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (12)533
SymbolesEmoji pour le cœur, les horloges, les flèches, les signes et les formes.10610,083
(13.24%)
L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (13)1962

43On peut voir que 42% des emoji sont des émoticônes/visages, les plus précis pour signifier une émotion. En creux, cela pointe aussi que 58% des emoji recensés ne semblent pas reliés à une expression émotionnelle. Comme le montre la Figure 2, ces emoji sont avec les formes, les symboles et d’autres objets les 20 emoji les plus présents dans notre corpus.

L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (14)

Figure 2. Les 20 emoji les plus présents dans notre corpus

44Pour filer l’analogie grammaticale, nous pouvons qualifier ces emoji de mots-images lorsqu’ils se réfèrent à des objets ou des formes, et de mots-émotions lorsqu’ils en représentent une via un visage. Nous allons maintenant voir que cette distinction empirique, basée sur le nombre d’occurrences dans le corpus, permet de catégoriser clairement les pratiques de communication des organisations observées. Ainsi vont apparaître des comptes Twitter d’organisations à mots-images, engagés dans une relation aux publics (un ensemble, un agrégat qui se définit par son interaction avec ces emoji), et des comptes à mots-émotions, engagés dans des relations aux profils (c’est-à-dire pour lesquels le choix des emoji repose sur des caractéristiques précises et un profilage).

45L’usage des emoji par les organisations s’inscrit tout d’abord dans des campagnes de communication, où ils sont généralement associés à des hashtags. Dans ce cas, les emoji sont choisis par les CM et sont des descripteurs: lieux, aliments, articles, activités. Les emoji sont alors des mots-images, c’est-à-dire qu’ils visent à indiquer aux publics le thème du message, son lien avec la campagne de communication, ou encore à incarner l’organisation (ses produits, services, valeurs, etc.). Si nous examinons les 34 emoji les plus utilisés par @CNES (Centre National d’Études Spatiales), 12 d’entre eux sont liés aux activités spatiales (Figure 3).

L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (15)

Figure 3. Emoji les plus utilisés par le compte Twitter du CNES

46Il en va de même pour la World Wildlife Fund France (@WWFFrance). Les emoji sont en accord avec les thèmes traités dans les communications de cette organisation. Les référents des signes employés sont clairement identifiables par les publics (Figure 4).

L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (16)

Figure 4. Emoji les plus utilisés par le compte Twitter de WWF France

47De plus, il existe une symétrie dans l’utilisation de certains emoji: @WWFFrance utilise le plus L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (17), comme ses publics. De même pour @CNES, dont L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (18) et L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (19) sont autant utilisés par le CM que par les publics. C’est pour nous le signe d’un travail affectif performant, montrant le partage d’une grammaire commune entre le CM et ses publics. Reste à savoir qui, des publics ou du CM, est à l’initiative de cette grammaire. Sur cette question, un CM nous déclare: «Effectivement, comme les socionautes utilisent des émojis, les marques se doivent de correspondre à ces codes-là et utiliser des émojis.» Mais dans le reste des entretiens, les CM n’évoquent les emoji qu’en parlant des problématiques de gestion de la relation-client comme nous le verrons dans la partie suivante. Pour autant, l’analyse de quelques stratégies montre à quel point un tweet lancé par un CM peut, en fonction du contexte, générer une forte reprise par les publics.

48Si la dénotation de ces mots-images est peu sujette à interprétation, leur connotation peut varier en fonction du contexte d’énonciation. Dans notre corpus, l’emoji avocat (L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (20), n=1231 [74]) est utilisé par une chaîne de supermarchés dans le cadre d’une opération commerciale. Les publics sont invités à partager un message et à donner leur meilleure recette d’avocat pour gagner un appareil électroménager. La même organisation, lors du Tour de France 2018, a proposé un autre concours de ce type avec un «cercle rouge» (L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (21), n=1962), en référence au maillot à pois qu’elle sponsorise. La même stratégie se retrouve dans les tweets du type «RT ce message et suis notre compte», où un participant tiré au sort gagne ensuite un prix (dans notre corpus, les CM ont publié 404 tweets de ce type, et il y a 1 171 réponses).

49L’emoji «Jack-O-Lantern» (L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (22), n=1471)indique quant à lui que notre corpus a été constitué lors de la fête d’Halloween où de nombreuses opérations commerciales sont organisées. L’objectif de ce recours à des mots-images afin de s’insérer dans une tendance générale, comme nous l’ont confirmé les CM interrogés, est de générer autant d’interactions que possible de manière opportuniste.

50Les CM déterminent aussi leurs choix de mots-images en fonction de leur proximité avec les publics et de leur connaissance du sujet. Souvent, lorsque les sujets sont très spécifiques (comme pour le WWF ou le CNES), les CM interrogés soulignent leur passion pour ces thèmes ou leur adhésion aux valeurs véhiculées: «J’ai la chance d’être passionné par le domaine dans lequel je travaille, il me serait difficile d’être passionné par les yaourts ou les jus de fruits par exemple». Dans d’autres cas, il est nécessaire d’apprendre. Un CM travaillant pour une organisation sportive le souligne: «Je ne suis pas passionné par le football, vraiment pas, enfin, je m’y suis mis quand même. Parce que, par respect pour les communautés, je ne pouvais pas ne pas avoir la réponse».

51Si cette grammaire semble provenir du CM, qui profite d’un contexte événementiel ou d’une acculturation au secteur d’activité de son employeur, elle est rendue encore plus dynamique par l’action des publics. Pour les organisations utilisant les emoji principalement comme mots-images, nous avons constaté un taux de réponse faible de la part du CM malgré les sollicitations des publics. @WWFFrance est confronté à 55 sollicitations directes, avec seulement 1 réponse par le CM (Tableau 4). Cela représente 1,8%, et c’est le taux le plus bas de notre échantillon (40,1% en moyenne).

@WWFFranceToutPar le CMAu CM
Tweets2,9276555
Réponses311145
Emoji1,6512810

52Les mots-images apparaissent moins comme un levier conversationnel: si le signe est partagé, il n’ouvre pas pour autant au dialogue. Les mots-images sont d’abord un moyen de provoquer des affections: montrer son attachement à l’organisation ou aux sujets qu’on lui associe, aussi bien de la part du CM que des publics. Dès lors il faut s’interroger sur la performance de l’activité professionnelle, et plus précisément des objectifs vers lesquels elle est tournée: dans une stratégie de relation aux publics typique des organisations à «mot-image», le community manager doit-il produire et maintenir une conversation, ou favoriser une circulation des affects?

53Les organisations confrontées aux questions de nombreux clients, parfois insatisfaits, utilisent principalement des émoticônes/visages, des mots-émotions. C’est le cas de @ClientsRATP, le compte «client de la RATP» servant à informer les voyageurs et à répondre à leurs questions. Sur les 20 emoji les plus utilisés, seuls 7 – pour le CM – et 6 – pour les publics (cœur, pouces en l’air) – ne correspondent pas aux «visages» des mots-émotions (Figure 5).

L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (23)

Figure 5. Emoji les plus utilisés par le compte Twitter @ClientsRATP (sur la gauche) et emoji les plus utilisés par les publics en interaction avec ce compte (sur la droite)

54L’utilisation de ces mots-émotions est guidée par les interactions avec les publics en première instance, et en dernière avec les profils des clients. Lorsque le CM initie un tweet, la variété des visages est limitée. Mais cette variété augmente dès qu’il y a une conversation, qu’il s’agisse d’une réponse du CM ou de celle d’un profil. Dans le corpus @ClientsRATP, on trouve donc de nombreuses nuances émotionnelles et intensités affectives: de la joie (L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (24)) à la tristesse (L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (25)) par le CM, de la colère (L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (26)), de la peur (L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (27)) et de l’incertitude (L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (28)) pour les publics.

55Nous avons également un taux de réponse différent. Pour ce compte nous observons 854 demandes directes et 874 réponses (Tableau 5). Il s’agit du taux de réponse le plus élevé de notre panel. Ce compte a également un temps de réponse court avec un délai moyen de 1heure et 7minutes. Néanmoins, les dialogues sont concis. Le plus souvent, la conversation s’arrête après que le CM a répondu.

@ClientsRATPToutPar le CMAu CM
Tweets3,631896854
Réponses2,274874589
Emoji738377140

56Les emoji, comme mots-émotions, sont donc ici utilisés comme modalisateurs (c’est-à-dire pour signifier l’intensité ou l’orientation d’une affection). Pour @ClientsRATP, les emoji «positifs» sont dans le top 5 des plus utilisés, tandis que le «visage boudeur» n’est utilisé que par les profils des usagers (L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (29), n=15). Au cours des entretiens, un CM a mis l’accent sur ce point: «J’utilise 99% des émoji positifs: clin d’œil, sourire, soleil, etc. En revanche, les émojis négatifs sont très rares.» Dans ces situations, on observe aussi que les réponses sont ponctuées d’un clin d’œil ou d’un sourire, comme pour signifier un «au revoir, affaire classée» (Figure 6). Comme le souligne un CM interrogé: «J’intègre vraiment [l’emoji] comme une ponctuation qui permet un espace, pour donner un ton. […] Un petit clin d’œil ou un sourire réduira la tension d’une phrase qui pourrait être mal interprétée.»

L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (30)

Figure 6. 3 réponses de @ClientsRATP. Les messages se terminent systématiquement par une émoticône positive.

57En entretiens, les CM évoquent une forme d’empathie avec les publics qui dirigerait le choix de ces mots-émotions. Cette empathie n’est pas «naturelle», elle apparaît comme une compétence résultant d’un travail d’observation: «il m’a fallu 9mois pour comprendre pleinement la communauté, ce qui m’attire et ce qui ne fonctionne pas sur la page».

58Pour résumer ces deux grands types d’usages des emoji, nous avons d’une part des organisations qui visent à atteindre un large public en jouant avec un petit ensemble d’emoji descripteurs et a priori faiblement polysémiques (par exemple L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (31), L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (32), L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (33)), des mots-images. L’objectif est de faire réagir, d’appuyer une campagne spécifique, et d’agréger des messages à d’autres pour favoriser leur circulation. Nous pouvons ici identifier un travail affectif numérique. Il vise à produire de l’attachement et à favoriser la circulation de messages dont l’analyse participera à la mesure de la performance des actions de communication.

59D’autre part, nous avons des organisations qui établissent une relation avec les profils des usagers, avec des taux de réponse élevés, et un large ensemble d’emoji modalisateurs signifiant des états émotionnels, des mots-émotions. Nous pouvons ici identifier un travail émotionnel numérique. L’objectif est de désaffecter les publics des situations qu’ils vivent selon leurs profils, et dont ils attribuent leurs (sur)affections aux actions de l’organisation: diminuer l’intensité d’une mauvaise interaction avec un employé, calmer les inquiétudes pour un train qui arrive en retard. Les emoji utilisés pour ce travail émotionnel sont susceptibles d’interprétation. Non pas dans ce qu’ils cherchent à signifier (quelle est la différence de sens entre L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (34), L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (35) ou L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (36)?). Ils sont polysémiques car ils ne permettent pas, pris isolément, de comprendre s’ils sont en adéquation ou non avec ce que la situation requiert, s’ils répondent au contexte, aux attentes des publics, ou à une rhétorique préétablie.

60Mais si nous regardons plus systématiquement sur l’ensemble du corpus le recours à ces mots-émotions, des séquences émergent («Bonne journée L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (37)» pour la RATP). Même si leur interprétation ne peut être saisie qu’en contexte, ces séquences semblent partager une rhétorique, une logique interne. Par exemple, le «clin d’œil» est dans notre corpus principalement associé, dans les mêmes messages, à des mots-émotions (Figure 7).

L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (38)

Figure 7. Les 10 emoji les plus associés à l’emoji «clin d’œil» dans notre corpus

61Nos résultats montrent que, du point de vue des organisations, les emoji sont un élément grammatical utile pour leur communication affective numérique, pour réguler l’affection des publics (mots-émotions) ou pour favoriser l’attachement affectif et la circulation des affects (mots-images). Cela ne présage en rien de la force perlocutoire des contenus publiés par les CM: de même que le bon emploi d’une grammaire par l’énonciateur ne garantit pas que son destinataire va correctement interpréter et agir, le bon emploi d’une grammaire affective ne garantit pas quelle affection le contenu va produire. Par contre, à la manière de Frédéric Lordon [75], cela présage qu’il y aura un effet. Par grammaire, nous entendons ainsi des séquences d’emoji qui révèlent à la fois les stratégies des organisations et le travail affectif/émotionnel que chaque CM effectue. Comme toute grammaire, elle s’adapte donc aux relations (mots-émotions) autant qu’elle dépend d’autres aspects culturels (mots-images). Cette tension génère des ambiguïtés sémantiques (polysémie de L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (39), nuances de L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (40), L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (41) ou L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (42), etc.), parfois utiles pour créer une conversation, mais qui, selon nous, empêche une analyse sémantique à grande échelle. Ces ambigüités conduisent aussi certains CM à éviter d’utiliser l’émoji, comme nous le signale l’un d’entre eux: «Une fois qu’un service est fourni […] le risque de mauvaise interprétation du smiley est trop élevé pour moi. Il est donc préférable de ne pas l’utiliser.» Par conséquent, cette maîtrise de l’ambiguïté, pour un autre CM, valorise les compétences et expériences: «Il y a toute la question de la polysémie de l’emoji […] selon les origines culturelles des gens, selon le contexte, etc. Donc je pense qu’il faut quand même connaître son métier.» Il apparaît que si tous les CM interrogés se réfèrent régulièrement à une communauté de pairs pour échanger sur leurs façons de faire, leurs pratiques, comme dans tout processus de professionnalisation, ne sont pas encore stabilisées et les conventions sont encore en cours de négociation.

62L’utilisation d’emoji sur Twitter contribue-t‑elle à la production d’une grammaire utile à la communication affective numérique? Cette utilité est-elle la même pour le professionnel, qui assoit ses compétences? Pour l’organisation, qui cherche à évaluer les attachements dont elle pourrait bénéficier? Pour les profils d’usagers qui montrent leurs affections, ou désaffections? Ou pour les plateformes, qui tirent un profit économique de la circulation de ces attachements?

63Pour répondre à cette question nous avons observé l’usage des emoji sur Twitter par des gestionnaires de médias sociaux et par leurs publics. Même si nous parlons de grammaire, nous n’avons pas choisi une approche linguistique ou sémiotique pour notre étude, mais une approche pragmatique et située: donner du sens à l’usage d’un emoji, c’est étudier le contexte communicationnel et sociotechnique dans lequel cet usage s’effectue. De notre point de vue, ce contexte s’inscrit dans un capitalisme affectif numérique, où les plateformes proposent des fonctionnalités d’écriture affective, et où les organisations cherchent à analyser et s’approprier cette écriture. Mais si nous nous référons à la grammaire, c’est parce que nous voyons l’émergence de règles, ou tout du moins de conventions d’usage des emoji.

64À la question de savoir ceque nous révèlent ces emoji d’un possible «sentiment général» et plus globalement de ce tournant affectif des dispositifs numériques, nous avons montré que les emoji visant à signaler une émotion étaient les plus présents. Cette observation fait écho à ce que nous nommons le «web affectif». Que ce soit pour répondre à un public, pour construire des messages promotionnels ou simplement pour ponctuer une conversation, les CM travaillent à promouvoir la construction d’un «sentiment général», qui en première instance pourrait s’avérer utile aux organisations si son évaluation était pertinente (ce qui n’est pas le cas en raison des trop grandes ambigüités sémantiques), et qui en dernière instance s’avère surtout profitable pour les plateformes.

65En d’autres termes, un emoji est une fonctionnalité affective qui permet d’indiquer une intensité particulière que l’on ressent ou souhaite faire ressentir aux autres. Afin de réduire le risque de «mauvaise» interprétation dans la communication affective numérique des organisations, d’autres emoji qui circulent – les mots-images – sont faiblement ambigus. Ces emoji permettent à la fois de créer du commun (en se liant à des messages similaires par des mots-images partagés par les publics) et du particulier (en s’insérant dans le contexte spécifique d’une relation avec un profil d’usager). Ainsi, en fonction des objectifs de l’organisation et du travail des CM, les affects attachés à une organisation participent à une évaluation générale (quelle valeur produite par ce sentiment général?) ou plus contextuelle (quelle valeur issue de chaque interaction?).

66Les praticiens que nous avons rencontrés ou observés choisissent donc ces emoji en fonction de multiples facteurs. Mais par quoi ces choix sont-ils guidés? Si les emoji permettent de caractériser rétroactivement les choix effectués, ils permettent également d’organiser ces pratiques de manière proactive et réactive. Les emoji fonctionnent comme des indices dans l’environnement du CM.D’une part, ils les repèrent dans l’affichage à l’écran des textes publiés, dans les fonctionnalités de clavier (voir Figure8), et dans les boutons d’interface. D’autre part, ces emoji donnent une indication de l’orientation affective qu’ils veulent donner à leurs publics, ou qu’ils reçoivent des profils. Dans cet environnement visuel, en fonction de l’objectif défini par l’organisation (engagement, lancement d’un produit, etc.), les CM développent des pratiques communes et conjointes à d’autres (ludification dans le jeu-concours par exemple) afin d’exécuter leur travail affectif. Lorsqu’il est temps de choisir un emoji, ceux qui sont le moins ambigus sont prioritaires. Il s’agit de mots-images qui susciteront des affections circonscrites. Ces mots-images sont alors les composantes d’une grammaire affective pour les praticiens: ce sont les indices des affections ou significations attachées à ce compte («ici, on parle L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (43) ou L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (44)»). Si toutes les personnes interrogées nous ont dit ne pas avoir de lignes directrices claires sur l’usage des emoji, il semble qu’elles s’ajustent constamment aux environnements numériques et professionnels dans lesquels elles opèrent. Ce sont donc le dispositif, la plateforme, la communauté professionnelle, ainsi que la situation et les signes laissés par le public qui définissent les gammes d’actions visant à affecter les publics.

L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (45)

Figure 8. À gauche, le formulaire de Twitter sur une version ordinateur, avec le bouton emoji rangé entre image, gif animé, sondage et programmer la publication. À droite, la touche emoji pour faire apparaître un nouveau clavier (ici, dans un modèle Android, dans la rangée du bas à côté de la barre espace).

67Outre les mots-images, il existe des emoji qui initient un type de relation (L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (46), L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (47), L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (48), L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (49) ou L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (50)). Ici, le praticien doit opérer l’action nécessaire à la désaffection des profils qui interagissent directement. Dans ce cas, les emoji, considérés comme des mots-émotions, permettent de construire une relation spécifique et contextuelle qui peut également être un indice pour les autres publics: l’emoji signale quels sentiments résultent des interactions ou des expériences avec l’organisation («ici on ressent L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (51) ou L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (52)»). Les mots-émotions sont alors les composantes d’une grammaire émotionnelle pour les praticiens. Ils s’inscrivent dans une rhétorique guidée par les routines conversationnelles qui forment des séquences limitant les possibles effets négatifs de ce travail émotionnel.

68Si les pratiques affectives des organisations sont guidées par les emoji déjà présents dans les espaces numériques, ainsi que les situations particulières dont la perception «actualise une gamme limitée d’actions appropriées et indique lesquelles sont accessibles ou faisables dans l’immédiat» [76], alors nous pouvons envisager les emoji comme de possibles «affordances»: ce sont des signes qui «procurent» un indice sur la relation entre le mot (-émotion ou -image) et l’usager [77]. De là découle une gamme d’actions, ou grammaire, de ce qu’il est possible de faire avec ces mots, ou ces emoji. Dès lors, nous pouvons modéliser ce qui guide et influe sur le choix d’un emoji, et qui déborde largement le cadre limité de Twitter (Tableau 6):

  • le CM perçoit une situation (provenant de son organisation, de ses publics, ou de pratiques au sein de sa communauté professionnelle);
  • il dispose d’un nombre limité d’emoji lui donnant une puissance d’agir sur la situation;
  • ces actions visent des objectifs et des effets spécifiques;
  • pour que ces actions produisent de la valeur dans ces situations, elles supposent un travail affectif et émotionnel numérique de la part des CM et des publics;
  • ces actions effectuées par les CM sont subordonnées à des contraintes et des conventions propres à leurs organisations ou milieux professionnels.
Situation
Ce que perçoit le CM (indices)
Gammes d’actionsObjectifs
Effets attendus du recours aux emoji
Travail affectif et émotionnel (CM/Public)Contraintes et conventions
Ce qui encadre, permet et limite l’activité du CM
Incarner la marqueMots-images
L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (53)
Attirer l’attention
Affecter
Attachement (CM)
Circulation (Public)
Mesures des actions
Rapports annuels
Normes
ColèreMots-émotions
L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (54)
DésaffecterRégulation (CM)
Expression (public)
Processus internes
Modération des plateformes
Contraintes juridiques
DétresseMots-émotions
L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (55)
Montrer de l’empathie
Rassurer
Travail émotionnel (CM et public)Scénarios
Accessibilités des ressources internes
SympathieMots-émotions et signes
L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (56)
Générer de la proximité
L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (57)
Personnalisation (CM)
Affection (Public)
Compétences émotionnelles
QuestionnementsEmoji indicatif
L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (58)
Orienter l’attentionMicro-activité (CM)
Médiatisation (public)
Organisation interne
Communication interne
DialoguerMots-images et mots-émotions
L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (59)
Affecter
Désaffecter
Médiation (CM et Public)Culture des publics
Compétences émotionnelles

70Chaque ligne du tableau s’interprète de la manière suivante: quand le CM doit incarner la marque, il dispose d’une gamme de mots-images qui permettent d’attirer l’attention et d’affecter le contenu. Ce faisant, le CM produit un travail affectif par ces actions d’attachement et le public par ces actions de mise en circulation (en commentant, likant, retweetant). Cette circulation des attachements est mesurable grâce à des normes comptables (fournies par les plateformes ou réagencées par les praticiens qui préfèrent faire les calculs eux-mêmes). Il est possible de rendre compte de ces mesures dans des rapports périodiques fournis à la hiérarchie.

71Dans cet article, nous avons analysé la manière dont les emoji concourent à la production d’une grammaire utile à la communication numérique des organisations. Les emoji participent à une grammatisation des affects et des émotions et contribuent à une économie affective numérique. Cette économie comme cette grammaire sont la résultante des stratégies des plateformes et des aspects culturels inhérents à chaque groupe d’usagers. Pour une même catégorie de signes – les emoji – se distinguent deux grammaires: une grammaire affective quand le CM a recours aux mots-images dans le cadre de son travail affectif; et une grammaire émotionnelle quand le CM a recours à des mots-émotions dans le cadre de son travail émotionnel. Loin d’uniformiser les pratiques des professionnels, cette grammaire est largement utilisée, sans présager de sa performance, contribuant à développer une tension et un lien entre une approche prétendument «universelle» de la communication et une vision plus contextuelle et située. Elle permet aux organisations de prioriser une approche en fonction du contexte d’interaction, des objectifs stratégiques, de la connaissance que les CM ont du public, des sujets ou des tendances. Le choix de ces emoji et de la grammaire appropriée dépendra ensuite des affordances propres à chaque situation et fonctionnalités des dispositifs numériques. En somme, les emoji nous indiquent que la communication affective numérique repose sur l’agencement d’actions qui se réactualisent constamment et que son analyse nécessite de faire appel à des cadres interprétatifs non-stabilisés. La question, pour des études futures, pourrait alors être: qu’est-ce qui dans l’étude de la communication et du langage numérique affecte nos interprétations?

72Un signe, à priori aussi insignifiant qu’un banal L’usage des emoji sur Twitter: une grammaire affective entre publics et organisations? (60), requiert ainsi un déploiement méthodologique particulier: il ne s’agit pas seulement de collecter les tweets, de les classer/compter, puis de faire parler les community managers sur leurs usages. La compréhension du phénomène implique de suivre l’emoji dans les négociations des consortiums, dans le design des fonctionnalités, dans les comptes rendus d’agence faits aux annonceurs, dans les tableurs des community managers, etc. C’est ce que nous appelons la méthode des strates: dans chaque strate se déploie une stratégie d’acteurs, dans la strate sémio-pragmatique des échanges en ligne, dans la strate techno-sémiotique des architectures informationnelles, dans la strate socio-économique des modèles d’affaire, dans la strate discursive des paroles médiatiques de chaque acteur. Et de suivre comment les emoji, ou d’autres supports des vecteurs affectifs, passent d’une strate à une autre, pour voir ce que cette circulation leur procure, comment à leur tour ils s’en trouvent affectés. Le programme de recherche qu’ouvre la perspective affective est double: quel outil méthodologique permettrait de suivre à la trace ces affects? Dans quels autres espaces, du web ou ailleurs, se niche le travail affectif?

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L’usage des emoji sur Twitter : une grammaire affective entre publics et organisations ? (2024)
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